Au cours du XIXe et du XXe siècle, la chasse aux oiseaux migrateurs, ancrée dans l’histoire du Québec comme une activité de subsistance, en est devenue une de plaisance. Traditionnellement la chasse à la sauvagine s’apprend au sein de la cellule familiale. C’est ainsi que Simon Lemieux est initié à ce loisir auprès de son père, de son grand-père et de ses oncles. Il a également reçu une formation dorénavant obligatoire, le Certificat du Chasseur.
Simon Lemieux est un grand amateur de chasse sportive. Issu d'une famille où la chasse est un plaisir qui se transmet de génération en génération, il a été initié par son père à la chasse aux oiseaux migrateurs sur l'île aux Grues, et ce, dès l'âge de douze ans. Aujourd'hui, il chasse principalement les petits gibiers et les oiseaux migrateurs de la grande région de Québec. Son territoire de chasse se limite habituellement à l'île d'Orléans, à la côte de Beaupré et sur la rive nord de l'estuaire du Saint-Laurent, dont le cap Tourmente. Passionné d'oiseaux, Simon Lemieux étudie minutieusement les différentes espèces d'oiseaux d'eau en fonction de leur environnement et de leurs comportements. Il sait d'ailleurs reconnaître les oiseaux par leur plumage nuptial, la forme de leur envolée et leurs cris. Il attire également ses proies en imitant lui-même leurs cris ou à l'aide d'appeaux artisanaux. Au fil des ans, il a acquis différents appelants qu'il entretient constamment. Ses appelants sont en plastique, en bois et en liège. Parfois, il confectionne lui-même ses appelants et les entretient pour préserver leur vraisemblance. Il possède également des appelants qui sont des silhouettes, mécaniques et rotatives (qui imitent le mouvement et qui attirent les oiseaux). Généralement, Simon Lemieux amène un cajou (ensemble d'appelants) de six ou douze individus pour attirer les oiseaux. Il se camoufle non loin ou parmi ses leurres dans une cache rudimentaire. Au Québec, les oiseaux migrateurs doivent être uniquement chassés aux fusils de chasse ou encore au grand arc. Simon Lemieux chasse habituellement les oiseaux migrateurs au fusil, car il considère qu'il faut posséder une grande habileté pour chasser les oies à l'arc. Il possède également une carabine avec laquelle il pratique le tir sportif. Toutefois, il est interdit de chasser les oiseaux migrateurs à la carabine. Simon documente et relate dans différents carnets les différentes situations de chasse auxquelles il fait face : les terrains, les appâts, les conditions climatiques, la sorte et la quantité de gibiers attrapés. De cette manière, ses carnets de chasse lui permettent de reconnaître différentes situations et ainsi de perfectionner sa technique de chasse. « La chasse, c'est être en constante adaptation ». Chasseur responsable, il est conscient de son rôle dans le contrôle des populations d'oiseaux, rôle essentiel « à la pérennité de la ressource ». Il a d'ailleurs pour philosophie de ne pas blesser inutilement le gibier. Il préfère tuer ses proies de manière franche et rapide. Simon Lemieux chasse ce qu'il peut consommer : « J'aime gagner mon gibier ». Il aime partager ses histoires de chasse et la viande qu'il a chassée autour d'un repas avec ses amis. Il considère ce moment privilégié comme sa « récompense ». Dans la région de Québec, durant la saison de chasse, un individu peut chasser par jour six canards, cinq oies (autres que l'oie des neiges) et bernaches et jusqu'à vingt oies des neiges. Il est interdit de vendre, de mettre en vente, d'échanger, de troquer ou d'acheter des oiseaux migrateurs. [Source en ligne de Environnement Canada au www.qc.ec.gc.ca/faune/chasse/html/reglements.html]
Traditionnellement, la chasse était une activité masculine où l'initiation et l'apprentissage s'effectuaient dans le cercle familial. Aujourd'hui, tout aspirant chasseur doit suivre une formation légale pour pouvoir obtenir son permis de chasse, soit un cours sur le maniement des armes à feu et un cours d'initiation à la chasse. L'instruction est obligatoire. Cette formation complétée, l'apprenti chasseur reçoit son Certificat du Chasseur. Malgré cet apprentissage formel, Simon Lemieux considère que son père a été son premier mentor. Il a d'ailleurs beaucoup appris en côtoyant d'autres chasseurs comme son grand-père et ses oncles. Ce sont eux qui lui ont transmis l'amour des oiseaux et l'art de la chasse. C'est d'ailleurs en accompagnant ses oncles et son père à la chasse que Simon a appris plusieurs trucs « qu'ils n'enseignent pas dans les cours ». Toutefois, selon lui, un chasseur apprend principalement par essais et erreurs. Il peut également acquérir des connaissances complémentaires à la lecture de revues ou de magazines spécialisés. L'initiation à la chasse à la sauvagine se fait généralement par filiation, soit par un membre de la famille. L'initié accompagne le chasseur dans les préparatifs ou encore pendant la chasse. Parfois, l'enfant va récupérer sur le terrain le gibier abattu par le chasseur. C'est en accompagnant les chasseurs que l'apprenti est mis directement en situation. Après l'obtention du Certificat du chasseur, il pratique ses tirs et chasse finalement ses premiers gibiers à l'aide de son mentor (ou guide). Dans ce contexte, Simon Lemieux explique que les chasseurs les plus expérimentés (souvent les plus âgés) reconnaissent, sur le fait, les différents contextes de chasses dont ils ont déjà fait l'expérience. Aussi, ils transmettent leurs savoirs et leurs connaissances par des anecdotes, des conseils et en relatant leurs histoires des chasses « qui ont porté fruit ». Encore jeune, Simon Lemieux n'a pas d'enfants à qui transmettre sa passion pour la chasse sportive. Toutefois, il chasse occasionnellement avec des amis plus ou moins expérimentés que lui.
La sauvagine a longtemps été une source d'alimentation importante pour les populations établies sur les rivages de l'estuaire du Saint-Laurent. Plusieurs preuves archéologiques d'établissement de stations de chasse amérindiennes ainsi que des traces de consommation d'oiseaux migrateurs ont été retrouvées dans la région de la Côte-de-Beaupré [Lavoie, 1998 : 59]. En Amérique du Nord, les amérindiens (notamment les Montagnais, les Malécites, les Micmacs, les Iroquois et les Cris) chassaient les sauvagines pour leur subsistance. D'ailleurs, ils avaient une bonne connaissance de la position stratégique du cap Tourmente. Les Amérindiens chassaient principalement la sauvagine à l'arc ou encore au filet, parfois embusqués dans des canots. La chasse à la sauvagine était également importante sous le régime français. Les actes notariés font fréquemment mention de la présence de la chasse à l'oie, à l'outarde, aux tourtes et aux canards. À l'époque, le mode d'occupation agricole était de type seigneurial. Les colons, censitaires, acquéraient des « autorisations » de pêche et de chasse sur le territoire des seigneuries, mais devaient payer des redevances à ces dernières. En 1680, la Seigneurie de la Côte-de-Beaupré a été cédée au Petit Séminaire de Québec. Les étudiants avaient dès lors les droits exclusifs de chasse au cap Tourmente. Le Séminaire se chargeait aussi d'accorder des permis aux divers habitants et fermiers, pour qui la sauvagine diversifiait le menu quotidien et devenait un revenu d'appoint selon le volume de leur vente [Lavoie, 1998 : 96]. Plusieurs techniques de chasse étaient utilisées par les Canadiens français. On pouvait chasser « à la passée », c'est-à-dire à portée de tir, ou encore effectuer la chasse riveraine, soit camouflé dans des caches en utilisant des branches comme appelants. Plusieurs habitants usaient aussi d'appelants vivants (outardes ou oies dressées pour attirer les autres). Cette méthode fut toutefois bannie vers les années 1950. Au XIXe siècle, la chasse à la sauvagine devient une activité de plaisance pour l'élite et la bourgeoisie anglaise. La chasse à la bécassine, qui nécessite une plus grande adresse des tireurs, devient une marque de distinction sociale. En 1908, le Petit Séminaire loue son terrain à la première pourvoirie de chasse. Ce sont les débuts de la commercialisation de la ressource. Les habitants canadiens continuent à chasser les oiseaux migrateurs dont la population décline graduellement. En 1860, on ne compte plus que 3000 individus. Des mesures sévères pour la chasse sont dès lors imposées. Elles tentent de préserver ces oiseaux. En 1917, une loi est adoptée pour réglementer la chasse à la sauvagine par la Convention sur les oiseaux migrateurs. Ratifiée par le Canada et les États-Unis, elle a pour objectif de contrer la chasse abusive de la sauvagine. Cette loi transformera à l'avenir les pratiques de chasse à la sauvagine. Elle fit la promotion des avantages commerciaux et écologiques d'une gestion de la faune responsable. Au XXe siècle, la chasse est principalement une activité de plaisance. La consommation régulière de l'oie quitte l'alimentation des Canadiens, remplacée par le poulet et la dinde. Plusieurs mesures législatives réglementent les droits de chasse, l'acquisition et le maniement d'une arme à feu. On connaît aujourd'hui une baisse du nombre d'adeptes de chasse à la sauvagine. La relève est rare. Il y a rupture dans la transmission familiale de ces techniques de chasse. Ce constat est dû à plusieurs phénomènes dont l'augmentation des coûts inhérents à l'activité, l'urbanisation de la population, l'exode rural de la jeunesse et l'influence des mouvements de protection des animaux qui lui donnent une connotation négative. [Source : Richard Lavoie, « La chasse à la sauvagine. Au-delà du plomb et du sang », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, département d'Histoire, 1998] Simon Lemieux est né à Beauport en 1978 d'une famille originaire de l'île d'Orléans. Dès douze ans, il est initié à la chasse aux oiseaux migrateurs en compagnie de son père et de ses oncles. Son grand-père était également un amateur de chasse. Depuis cet âge, Simon Lemieux a toujours chassé la sauvagine. Il pratique toujours cette activité avec les membres de sa famille. Il est d'ailleurs retourné s'établir sur l'île, où il chasse avec plaisir. Au fil des ans, la chasse aux oiseaux migrateurs a évolué dans son organisation, par sa commercialisation et selon sa réglementation. Actuellement, la chasse à la sauvagine est devenue une activité récréative plus qu'une activité de subsistance. La majorité des chasseurs chasse la sauvagine grâce aux services de pourvoyeurs. D'ailleurs, ils chassent durant les premières journées de la saison et parfois seulement pendant un ou deux jours. Aujourd'hui, il existe peu de lieux où les chasseurs peuvent s'adonner librement à la chasse. Les terrains agraires et les territoires de chasse sont très recherchés par les amateurs. Ils se les transmettent par legs familial. En plus de connaître une évolution dans ses techniques (accessoires et outillages plus perfectionnés), la chasse s'est également modifiée dans son approche. La gestion durable et responsable de cette ressource faunique est au centre des préoccupations du milieu actuel de la chasse aux oiseaux migrateurs au Québec.
Richard Lavoie (1998). « La chasse à la sauvagine. Au-delà du plomb et du sang », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, département d'Histoire. Paul-Louis Martin (1980). « Histoire de la chasse au Québec », Montréal, Les Éditions du Boréal Express, p. 250.
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