Au sein de la famille Lebrun, la pratique de la chasse à l’eider se pratique de père en fils depuis plusieurs générations. Gilles Lebrun a appris au contact de son père. Il transmet à son tour ses savoir-faire à son fils. De nos jours, à Havre-Saint-Pierre, il s’agit d’une pratique sportive populaire auprès des jeunes et moins jeunes. Par le passé, la chasse à l’eider était une activité de subsistance. Les fruits de la chasse étaient une denrée indispensable durant la saison hivernale, puisque les bateaux ne pouvaient pas accéder à la municipalité d’Havre-Saint-Pierre pour y acheminer de la nourriture en raison des eaux gelés.
La moyac, nom d'origine algonquienne, désigne l'eider commun, un des grands canards marins de la Côte-Nord. Le plumage de la femelle est brun rougeâtre à jaunâtre, alors que le mâle est noir et blanc et a une tache émeraude sur les cotés et à l'arrière de la tête. La chasse aux moyacs est pratiquée par la population nord-côtière depuis toujours. Les chasseurs partent très tôt, avant le lever du soleil, pour trouver un bon endroit de chasse. Il faut être patient et être à l'affût, caché dans le canot. Avec la clarté, les moyacs arrivent furtivement. Les canards viennent se nourrir près des récifs à marée basse. Gilles Lebrun chasse à la carabine de calibre 12 avec des billes de plomb ou d'acier. Les billes de plomb polluent l'environnement. Par contre, les billes d'acier ne permettent pas toujours de tuer l'oiseau. Alors, le gibier blessé risque de s'enfuir pour aller mourir plus loin. Il faut utiliser des cartouches d'acier d'une taille de trois pouces, car elles sont plus puissantes. Cela permet d'éviter les pertes. Autrefois, les chasseurs fabriquaient leurs appelants, qu'on nomme aussi « bagouins », en les sculptant dans du bois. Maintenant, il est possible de les acheter. Ils sont faits de plastique. Les chasseurs ramènent le gibier à la maison. Les moyacs sont gelés avec leurs plumes. Ce n'est qu'avant la cuisson que l'oiseau est préparé : on enlève la peau avec les plumes, après lui avoir coupé la tête. L'hiver, lorsque la glace est gelée en profondeur, les chasseurs trompent l'eider. La moyac doit plonger profondément pour se nourrir. Les chasseurs vont sur la glace en motoneige. Ils attachent des toiles bleues sur la glace. La toile bouge au vent. Les eiders les confondent avec des trous libres de glace. Autrefois, les chasseurs utilisaient de la cendre pour colorer la glace et ainsi tromper l'eider affamé. Gilles Lebrun chasse aux îles au Marteau et à l'île à Calculot dans l'archipel de Mingan. Les îles sont situées à proximité de Havre-Saint-Pierre.
Le grand-père, le père, les oncles et les frères de Gilles Lebrun chassent la moyac. Il s'agit d'une pratique traditionnelle transmise de génération en génération. Le père de Gilles Lebrun a appris à ses fils la manière de placer les appelants qu'on nomme « bagouins », afin d'améliorer les chances de capturer les eiders. Avec son père, Gilles Lebrun a appris à localiser les meilleurs endroits pour chasser l'eider dans l'archipel. L'orientation des vents rend certains lieux plus propices à des chasses fructueuses. Gilles Lebrun a initié son fils à la chasse. Il ne l'a jamais amené à la chasse pendant l'hiver puisque son fils est encore aux études. Son fils chasse avec Gilles ou avec ses amis. Cette pratique est assez populaire chez les jeunes. Il y a un regain d'intérêt pour la chasse aux canards. Lorsque les parents chassent, les enfants apprennent en se joignant aux excursions. Il constate l'intérêt des jeunes, car ils sont souvent déjà sur les lieux de chasse lorsqu'il arrive tôt le matin.
Lorsque Gilles Lebrun entend parler de ses ancêtres, il y a toujours des allusions à la chasse à l'eider. La chasse était alors une activité non pas ludique, mais plutôt de survie. On chassait la moyac pour se nourrir. Autrefois, les gens chassaient sur la terre et non sur la mer. Lorsqu'il y avait de la glace, les bateaux ne pouvaient pas accéder à Havre-Saint-Pierre pour apporter des denrées alimentaires. À l'automne, les familles élevaient un bœuf. Au début de l'hiver, elles n'avaient plus les denrées pour le nourrir. Le bœuf était alors tué. Au milieu de l'hiver, en janvier, la population commençait à manquer de nourriture, surtout de viande. Les jours où l'eau était gelée, les hommes allaient à pied sur les îles, couper du bois. Ils profitaient de l'occasion pour chasser le canard. C'est dans les années 1950 que Gilles Lebrun a appris à chasser l'eider. Dès l'âge de 6 ou 7 ans, Gilles accompagnait son père à la chasse. Lors de ses premières excursions, il était trop jeune pour chasser. Il tenait en laisse le chien qui ramassait les oiseaux morts. Gilles Lebrun a commencé à tirer à la carabine vers l'âge 13 ans. À cette époque, Gilles et son père chassaient sur les îles. Maintenant, il chasse en mer, dans un canot. Il peut ainsi pratiquer la chasse à n'importe quel moment, car il n'est pas nécessaire de vérifier si la marée descend. Gilles Lebrun a appris cette manière de procéder avec des gens de Sorel qui viennent chasser le canard dans l'archipel des îles Mingan. Avec les années, la chasse à l'eider est devenue un sport et un loisir.
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