Daniel Labrie

Chasse aux oiseaux migrateurs

Personne

Intérêt patrimonial

Daniel Labrie, adepte de la chasse aux oiseaux migrateurs, a appris les rudiments de cette activité auprès de son père, et ce dès son enfance, dans les champs agricoles du Saguenay. Il détient plus de 30 ans d’expériences qu’il transmet à d’autres chasseurs. La pratique elle-même est ancrée sur le territoire de la vallée du Saint-Laurent dès le Régime français.

Description de la pratique, du savoir ou du savoir-faire


Daniel Labrie, de Lac-Kénogami, pratique la chasse aux oiseaux migrateurs depuis plus de 30 ans. Dans les champs agricoles de la région de Jonquière, il chasse durant l'automne la bernache (outarde), l’oie blanche et le canard. Cette dernière peut aussi se faire au marais, à proximité d'une étendue d'eau. La chasse aux oiseaux migrateurs demande beaucoup de temps d'observation et de préparation. Tous les jours de la chasse, le matin et le soir, Daniel Labrie et ses partenaires se rendent sur place pour faire du repérage («spoter»), c'est-à-dire observer les oiseaux et l'environnement. Chaque groupe de chasseurs a son secteur et il importe de ne pas se nuire mutuellement. Avant de s'installer dans un champ, les chasseurs doivent demander la permission au cultivateur. Celui-ci les autorise ou non à venir durant la saison qui s'étend de la mi-septembre jusqu'aux premières neiges, moment où les oiseaux quitteront définitivement les lieux vers le sud pour y trouver de la nourriture. Généralement, le cultivateur autorise un groupe seulement par saison de chasse et ce groupe, qui doit mériter sa confiance, surveille et contrôle la venue d'autres chasseurs sur ce territoire. En tout temps, les chasseurs doivent respecter les règles du cultivateur. Les champs utilisés sont des surfaces agricoles où l'on cultive diverses céréales, endroits susceptibles d'attirer les oiseaux pour se nourrir durant leur périple migratoire. Les bons champs sont voyants et plats. Plusieurs cultivateurs voient d'un bon œil cette chasse, car les oiseaux nombreux peuvent causer des dommages importants à leurs cultures. Aujourd'hui, le groupe de Daniel Labrie est composé de quatre chasseurs. Daniel Labrie chasse par passion et par plaisir. Ce plaisir est toujours subordonné au principe du respect du gibier (de la ressource) et de l'environnement.
Les oiseaux migrateurs se chassent de manières différentes, car ils ont des comportements distincts. L'oie blanche se déplace en grosses bandes (environ 400-500 individus) et est imprévisible. Elle arrive d'une très haute altitude et a donc le temps de bien repérer un secteur. Le chasseur doit se faire invisible et les leurres, les plus réels possibles, doivent être disposées de façon réaliste. Si les oies se tiennent deux jours dans le même champ et y forment des «camps», les chasseurs s'y installent dès le lendemain matin car il y a de bonnes chances qu'elles reviennent s'y nourrir. Les chasseurs se placent dans des caches fermées (en position couchée) ou dans des caches circulaires à l'intérieur desquelles des trous sont creusés (en position assise).La première cache permet de tirer à 90° et la seconde à 360°. Les caches, bien camouflées avec la paille trouvée sur place, sont disposées sur une ligne horizontale à une distance de 4-5 pieds entre chacune d'elles. Les chasseurs disposent des silhouettes d'oies réalistes (jusqu'à 300) et des appelants en trois dimensions («decoys») pour former des V afin de dégager des espaces au centre pour laisser entrer les oies dans le champ face au vent. Pour l'outarde, il faut d'abord repérer dans les champs le nombre de voliers, groupe d’oiseaux volant ensemble, entrant dans le champ, l'heure d'arrivée et l'emplacement. Ces informations sont normalement un bon indicateur pour la chasse du lendemain. L'outarde entre dans les champs par bandes de 15-20 individus, de manière plus régulière et confiante, à une altitude plus basse. Elle est donc plus facile à chasser que l'oie. Les chasseurs se placent de la même façon, mais utilisent beaucoup moins d'appelants (50-60 environ).
Un chasseur dans le groupe est désigné au début de la journée pour observer discrètement les voliers et donner le signal aux autres chasseurs qui restent immobiles dans leurs caches. À «go», les chasseurs sortent de la cache et tirent aussitôt les oiseaux en vol en avant d'eux à l'aide d'un calibre 12. Pour sa part, le canard se chasse au marais (avec appâts) et au champ, sensiblement de la même façon que l'outarde. Daniel Labrie et son groupe chassent parfois l'oie en rampant ou encore en s'installant entre deux gros camps d'oies afin d'abattre celles qui passent d'un camp à l'autre. Règle générale, ils tirent toujours le gibier au vol afin de lui donner une plus grande chance et d'augmenter le niveau de difficulté de la chasse. La chasse aux oiseaux migrateurs nécessite un investissement financier important pour le groupe de chasseurs. En effet, ceux-ci doivent posséder une arme, des munitions, des vêtements de camouflage, des caches et divers accessoires de chasse. Le plus coûteux reste l'achat des appelants (decoys) d'oiseaux. Daniel Labrie et ses partenaires se procurent les appelants d'oiseaux migrateurs (decoys) au Québec ou en font venir de fabricants spécialisés aux États-Unis. Chaque unité coûte au minimum 50,00$. Les leurres deviennent de plus en plus réalistes et les chasseurs doivent s'ajuster en conséquence pour attirer les oiseaux. Ceux-ci s'habituent continuellement aux différents leurres utilisés par les chasseurs et se dirigeront vers les plus réalistes. Daniel Labrie indique que plus la saison de chasse avance, plus les chasseurs doivent avoir des appelants réalistes car les oiseaux voient la différence. Pour attirer les oiseaux, les chasseurs utilisent aussi des appeaux. Pour l'outarde, Daniel Labrie utilise un appeau régulier. Pour l'oie, il utilise un appeau électronique (call). Pour le canard, il imite le son avec sa bouche, ce qui a l'avantage de laisser les mains libres et de fournir un meilleur temps de réaction.


Apprentissage et transmission


À l'âge de 11-12 ans, Daniel Labrie apprend tous les rudiments de la chasse avec son père qui était un chasseur d'orignal expérimenté et un trappeur. Tous les automnes, il allait tirer de la carabine avec ce dernier. Il nettoyait aussi la carabine. Son père lui a inculqué le respect de l'arme de façon à éviter les problèmes. La perdrix a été le premier oiseau chassé par Daniel Labrie. En 1976 à St-Méthode, Albanel et Normandin au Lac-Saint-Jean, son frère Bernard et un groupe de chasseurs l'initient à la chasse au canard et à l'outarde. L'apprentissage de la chasse à l'oie s'est réalisé également avec Bernard, mais dans la région de Montmagny. Même après plus de 30 ans de pratique, Daniel Labrie estime qu'il apprend encore à tous les ans, car le gibier change et s'acclimate. Il en résulte une amélioration continuelle du chasseur, un apprentissage sur de nombreuses années. Aussi, les chasseurs s'échangent fréquemment des trucs et conseils pour perfectionner leurs techniques de chasse et partager leurs connaissances. Véritable passionné par la chasse aux oiseaux migrateurs, Daniel Labrie aime transmettre aux personnes qui le demandent ses techniques de chasse. Il aime partager, de façon informelle, ses connaissances et son expérience avec les autres. Ce qui importe le plus pour lui est de montrer à chasser sans danger, de façon propre et respectueuse. Par exemple, il a montré à chasser à un jeune chasseur peu expérimenté qui s'était installé sur son territoire sans le savoir. Ce jeune homme est aujourd'hui un très bon chasseur. Daniel Labrie a montré ce type de chasse à l'un de ses fils, mais celui-ci préfère la chasse à l'orignal et à l'ours. Pour Daniel Labrie, ne devient pas chasseur qui veut: « Il faut être fait pour la chasse».

Historique général


On chasse les oiseaux migrateurs dans la vallée du Saint-Laurent depuis fort longtemps. Étant donné la baisse des effectifs de plusieurs espèces animales chassées et trappées de façon intensive durant le Régime français et au-delà, les habitants se rabattent sur la chasse aux oiseaux migrateurs qui traversent le territoire en grand nombre au printemps et à l'automne. Cette chasse est pour le moins désorganisée jusque dans la première moitié du XIXe siècle: «On a presque l'impression d'un laisser-faire généralisé jusqu'au milieu du 19e siècle, écrit l'ethnologue Paul-Louis Martin. Quand la manne passe, chacun la ramasse. Et c'est ainsi, les ajoutant à la moisson des tourterelles, qu'habitants, ouvriers des faubourgs, officiers et soldats récoltèrent en les enfilant les longs voiliers d'oies et de canards.» (Provencher, 1996: 364). Aujourd'hui, la chasse aux oiseaux migrateurs se pratique toujours dans plusieurs régions de la vallée du Saint-Laurent et plus récemment au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Daniel Labrie indique qu'avant 1984 environ, il n'y avait pas d'oie dans la région. Les populations d'oies, poussées par des grands vents inhabituels dans le corridor au-dessus de Tadoussac, se sont introduites dans le secteur (surtout au Lac-Saint-Jean) et y reviennent à chaque année depuis ce temps. Au Saguenay, on note la présence d'une plus grande quantité d'outardes (bernaches du Canada). À la différence des siècles derniers, la chasse aux oiseaux migrateurs est très réglementée dans la province. Cela permet de préserver la ressource aviaire pour l'avenir tout en contrôlant les populations et leurs impacts sur les terres agricoles. L'actualisation de la pratique de la chasse aux oiseaux migrateurs ne touche pas l'arme employée car celle-ci (normalement une carabine de calibre 12) peut être utilisée durant plusieurs années si elle est bien entretenue. Jusqu'à tout récemment, Daniel Labrie chassait avec la carabine que son père lui avait donné il y a plus de 30 ans. Cette carabine appartient maintenant à son fils et est encore en usage. Les principales transformations ont trait au perfectionnement des caches et des accessoires de chasses. Lui et son groupe doivent toujours rester à la fine pointe des nouveautés en ce domaine et utiliser des imitations d'oiseaux des plus réalistes pour attirer les oiseaux dans leurs champs. La pratique se transforme en fonction des populations d'oiseaux qui peuvent modifier leurs destinations, leurs comportements et leur nombre avec les années en réponses à divers facteurs. Daniel Labrie et son groupe peuvent changer de champs à l'occasion, mais chassent exclusivement au Saguenay, dans les environs de Jonquière. Les chasseurs doivent s'adapter au nouvel environnement si tel est le cas.


Autre localisation

  • Arrondissement : Lac-Kénogami

Documentation

PROVENCHER, Jean. 2000 [1996]. Les Quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. Montréal, Boréal, 605 p.

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Pascal Huot, Mathieu Tremblay
  • Date d'entrevue : 2008-06-13
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Mathieu Tremblay

Fiches associées

  • Chasse à l'oie blanche à l'Isle-aux-Grues

    Chasse à l'oie blanche à l'Isle-aux-Grues
    Gilles Roy a appris les techniques de la chasse à l'oie au contact de son père et des autres hommes de l'Isle-aux-Grues. De plus, il a déjà pris des cours de tir qui se donnaient à l'occasion sur l'Isle-aux-Grues. La plupart des insulaires pratiquant la chasse suivaient cette formation. À [...]
  • Chasse aux oiseaux migrateurs aux Îles-de-la-Madeleine

    Chasse aux oiseaux migrateurs aux Îles-de-la-Madeleine
    Nombre de familles madeliniennes vivent de la pêche et de la chasse, que ce soit la chasse aux phoques (Voir la fiche concernant la chasse aux phoques aux Îles-de-la-Madeleine) ou la chasse aux oiseaux migrateurs. Étant donné qu'il s'agit là d'activités saisonnières, une même personne [...]
  • Gilles Lebrun

    Gilles Lebrun
    Le grand-père, le père, les oncles et les frères de Gilles Lebrun chassent la moyac. Il s'agit d'une pratique traditionnelle transmise de génération en génération. Le père de Gilles Lebrun a appris à ses fils la manière de placer les appelants [...]
  • La chasse aux oiseaux migrateurs au cap Tourmente

    La chasse aux oiseaux migrateurs au cap Tourmente
    L'initiation à la chasse à l'oie blanche s'effectue généralement par filiation, soit par un chasseur membre de la famille du débutant. L'initié accompagne le chasseur dans les préparatifs ou encore pendant la chasse. Si l'initié est un enfant, il va récupérer sur le terrain le [...]
  • Simon Lemieux

    Simon Lemieux
    Traditionnellement, la chasse était une activité masculine où l'initiation et l'apprentissage s'effectuaient dans le cercle familial. Aujourd'hui, tout aspirant chasseur doit suivre une formation légale pour pouvoir obtenir son permis de chasse, soit un cours sur le maniement des armes à feu et un cours d'initiation à la chasse. L'instruction [...]

Sons

Photos

Facebook

Partenaires

La réalisation de l’Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.

  • Logo - Conseil québécois du patrimoine vivant
  • Logo - Chaine de recherche du Canada en patrimoine ethnologique
  • Logo - Musée québécois de culture populaire
  • Logo - Société Québécoise Ethnologie

© 2024 Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique, Université Laval