Le canot à glace, dorénavant un sport de compétition, a été pendant longtemps un moyen de transport et de communication indispensable pour les insulaires et les riverains du fleuve Saint-Laurent. Jusqu'au début du XXe siècle, pendant la saison hivernale, il s’agissait d'un des rares moyens de liaison entre la rive sud et nord de la région de Québec. Le Circuit québécois de canot à glace met en valeur cette pratique sportive dans le cadre de cinq courses annuelles, dont La course en canot du Carnaval de Québec.
La course en canot à glace, © IREPI
Le canot à glace est un sport d’endurance et de force inspiré d’un mode de transport, utilisé autrefois, en hiver, par les résidents des îles du Fleuve Saint-Laurent. De nos jours, le canot à glace se pratique essentiellement dans le but de prendre part aux courses organisées par le Circuit québécois de canot à glace. Nombreuses sont les équipes à pratiquer le canot à glace dans le but de perpétuer une tradition qui leur est chère. Ce sport regroupe plusieurs centaines de personnes provenant notamment des régions bordant le fleuve. Depuis quelques années, le sport attire une équipe de Calgary, une de Chicago et une de France.
En 2010, la course du Carnaval de Québec a attiré 49 équipes composées d’individus de tous âges, hommes et femmes. Ce nombre élevé de concurrents démontre la popularité grandissante du canot à glace. Les cinq courses qu’organise le Circuit sont La Grande traversée Casino de Charlevoix (Isle-aux-Coudres), La course en canot du Carnaval (Québec), La course de la Banquise Portneuf (Portneuf), Le Trois-Rivières extrême (Trois-Rivières) et le Grand défi des glaces (Québec).
Le canot à glace se pratique sur le fleuve Saint-Laurent, lorsque celui-ci est partiellement gelé. La pratique consiste à naviguer un canot, en équipe de cinq, entre les glaces, le frasil et l’eau vive en tenant compte des marées, des courants et des vents. Le canot file à une vitesse variant entre 6 et 10 km/h sur la glace et de 14 km/h sur l'eau. Il peut même atteindre une vitesse de 20 km/h sur la glace, lorsque celle-ci est parfaitement lisse. Pour exercer ce sport, les canotiers doivent connaître les eaux du fleuve et doivent développer une stratégie adaptée à chaque course. L’objectif est de traverser le fleuve le plus rapidement possible tout en devant atteindre des cibles, que l’on appelle des « touches ». Si une équipe omet de faire une touche, celle-ci se voit automatiquement disqualifiée. Le nombre de traversées diffère selon la course et la catégorie. Il existe à ce jour trois classes à l’intérieur desquelles les équipes doivent s’inscrire pour prendre part à la compétition : la classe Élite masculine, la classe Élite féminine et la classe Sport.
L’équipement pour pratiquer ce sport est composé d’un canot fait en fibre de verre de type caplan. Son poids minimum doit être de 250 livres. La rigidité de la coque du canot assure une certaine sécurité aux canotiers, le canot subissant des impacts au contact des glaces. À l’intérieur du canot, on retrouve des bancs pour asseoir les canotiers lorsqu’ils doivent ramer, des appuis genoux lorsqu’ils doivent trottiner, des fixations pour les rames et une multitude d’autres accessoires ajoutés par l’équipe, selon les besoins propres. Les rames utilisées par les canotiers sont faites de fibre de carbone et sont du même genre que celles dont disposent les sportifs olympiques en aviron, mais auxquelles sont ajoutés des pics de métal pour obtenir plus de mordant dans la glace. Le barreur (avironneur) dirige le canot à l’aide d’un aviron fait de bois auquel sont ajoutés des pics de métal. Les canotiers, quant à eux, portent des vêtements fait de lycra du même type que les skieurs de fond et certains portent en plus une combinaison thermique à l’épreuve de l’eau. Les bottes des canotiers sont faites de néoprène, un caoutchouc utilisé pour la fabrication des bottes de plongée sous-marine auxquelles les canotiers ajoutent des crampons de métal à la semelle ou sur un support distinct qui enveloppe celle-ci. Ce support de crampons, fabriqué de façon artisanale, est fait de plastique rigide moulé aux pieds du canotier. Les crampons sont très utiles lorsque les canotiers doivent tirer le canot sur les glaces ou pour le faire avancer en trottinant. L’équipement est complété par un ballon de sauvetage placé à la ceinture ou incorporé à son vêtement selon le canotier.
L’équipe est composée de quatre canotiers rameurs et d’un capitaine. Sur les glaces, ce sont les deux canotiers placés à l’avant qui tirent le canot sur les banquises et qui le dirigent sur celles-ci. Lorsque le canot est dans l’eau, les canotiers doivent ramer de concert. C’est le barreur, situé derrière, qui dirige l’embarcation à l’aide d’un aviron. Le capitaine, souvent à la position du barreur, donne les ordres et dirige les membres de l’équipe. La stratégie de course se décide en équipe.
Comme le canot à glace est un sport hivernal, il se pratique dès la formation des glaces sur le fleuve et se termine lorsque celles-ci sont fondues. Les courses, quant à elles, se déroulent du mois de janvier au mois de mars. Cependant, l’entrainement se déroule tout au long de l’année, selon la disponibilité de chacun des canotiers pour le sport. Pour certaines équipes, l’entrainement à bord des canots se déroule 12 mois par année. En été, certains vont pratiquer des sports individuels tels que le vélo, les exercices musculaires en salle, la course à pied, etc. L’entrainement pour les courses se déroule habituellement à partir du mois de novembre jusqu’à la fin des courses en mars. La durée et la fréquence sont propres à chaque équipe.
Lors de la course du Carnaval de Québec, les qualifications sont faites sur la terre ferme, dans les rues de la ville de Québec, en soirée le vendredi. Les courses du Carnaval et de Isle-aux-Coudres sont les seules qui effectuent les qualifications sur rue, attirant des spectateurs. Toutes les équipes, divisée selon les classes, doivent faire le parcours en trottinant le plus rapidement possible. On attribue les premières places sur le départ de la course officielle sur le fleuve aux équipes les plus rapides. Le matin de la course, les équipes s’informent du climat et observent les conditions du fleuve. La cire pour cirer le canot est choisie selon le climat. Cette cire permet de faire glisser le canot sur les glaces. Un mauvais choix peut être fatal pour l’équipe, le canot pouvant être ralenti ou au contraire n’avoir aucune retenue sur les glaces. Quelques heures avant la course, les canots sont descendus sur le fleuve, à l’aide d’une grue si la descente est trop abrupte. Le départ se fait selon les classes. La première classe à prendre le départ est Élite masculine, ensuite celle de Élite féminine et enfin la classe Sport. Les équipes défilent alors sur le fleuve dans le but de d’obtenir la première place. L’équipe ayant le meilleur temps remporte la première place. Chaque course permet de récolter un pointage qui couronne grande championne l’équipe ayant le meilleur pointage. Cette équipe remporte alors la Coupe des glaces.
Les crampons, © IREPI
Le canot à glace est une pratique qui se transmet d’une génération à une autre ou d’une personne à une autre. Certaines familles de l’Isle-aux-Grue, de l’Isle-aux-Coudres et de Montmagny pratiquent cette activité depuis plusieurs générations, d’abord comme moyen de transport et ensuite comme activité sportive. L’apprentissage se fait par observation, par contact direct et par la pratique. Plusieurs personnes s’intéressent au canot à glace parce qu’ils se sentent concernés par la pratique traditionnelle, souvent étant eux-mêmes des insulaires ou des riverains. « Cela fait partie de notre histoire » raconte Guy Lapointe. D’autres s’y intéressent en tant que sport, souvent parce qu’ils ont assisté comme spectateurs à une course en canot à glace. Les équipes recrutent des membres et les initient au sport par la pratique.
Le départ de la course en canot à glace, © IREPI
Cette pratique est exercée depuis le XVIIe siècle. Guy Lapointe raconte que le canot à glace comme fait partie de sa vie, et de celles de ses parents, depuis toujours. Autrefois, le canot à glace était utilisé comme un moyen transport hivernal. Chez les insulaires du fleuve Saint-Laurent, outre les ponts de glace (qui ne se formaient pas nécessairement à chaque hiver), cette méthode de transport était le seul moyen d’atteindre les rives pendant la saison hivernale. Le canot à glace était également utile pour les gens qui devaient traverser d'une rive à l'autre du fleuve avant la conception des ponts et l’arrivée des brise-glaces pour les traversiers, particulièrement entre Québec et Lévis. Pour les gens habitant les îles, on utilisait le canot à glace pour le transport des vivres, du courrier, des malades, des écoliers, etc. Le canot à glace est une pratique québécoise née en réponse aux besoins des insulaires et des riverains du fleuve Saint-Laurent.
Les techniques se sont développées au gré de la pratique, entre la navigation en eau vive et la traversée des banquises. Les canotiers ont amélioré les équipements pour faciliter la tâche, par exemple l’installation de crampons sous les bottes. Les canots utilisés autrefois sont très différents de ceux d’aujourd’hui. Ils étaient faits de bois et étaient très lourds. La pratique comme moyen de transport a peu à peu disparu lorsque les bateaux à vapeur ont pu traverser les glaces du fleuve entre Québec et Lévis, à la fin du XIXe siècle. Pour les îles du fleuve, c’est le transport aérien et l’arrivée de traversier qui sonna la fin du canot à glace comme moyen de déplacement. À Grosse-Île, la pratique s’est terminée en 1937 avec la fermeture de la station de quarantaine. Chez les insulaires de l’Isle-aux-Coudres, la pratique du canot à glace comme moyen de transport s’est terminée avec l’arrivée du premier traversier, en 1957.
La première course en canot à glace a eu lieu en 1894, lors du Carnaval de Québec. Seulement quatre équipes de Lévis ont prit part à cette première course sportive. Il faut attendre une trentaine d’années avant de revoir une course en canot à glace. En 1931, elle est organisée par l’Association des sports d’hiver, supportée par le Château Frontenac. Cette course, qui se déroule entre les Hôtels de ville de Québec et de Lévis, nécessite un portage sur de bonnes distances. C’est ensuite en 1955 que les courses en canot à glace deviennent une activité permanente de la programmation du Carnaval de Québec. Jusqu’en 1984, seuls des hommes prenaient part aux compétitions. Ils provenaient pour la plupart des îles et des municipalités riveraines du fleuve. C’est cette même année, en 1984, qu’est créée l’Association des coureurs en canot à glace du Québec (ACCGQ). Cette association, qui représente aujourd'hui plus de 300 membres, a pour mission de servir les besoins communs des équipes de canot à glace du Québec pour la promotion et l'avancement de ce sport, en plus d'organiser et collaborer à l'organisation des courses de canot à glace. Aujourd’hui, des équipes mixtes et des équipes entièrement féminines s’adonnent à ce sport extrême.
Richard Lavoie. 2012. Naviguer en canot à glace. Un patrimoine immatériel. Les Édidtions GID
La réalisation de l’Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.