La poutine

Daniel Leblanc

Propriétaire du restaurant "Le Roy Jucep"

Forme d'expression

Vidéo

Intérêt patrimonial

La poutine est un met dont la réputation internationale lui reconnaît une origine québécoise. De nombreuses chansons parlent de ce met, en plus de nombreuses publications dédiées à cet amalgame de frites, de fromage et de sauce brune. La ville de Drummondville consacre d'ailleurs un festival à ce plat populaire, et la poutine constitue, depuis sa popularisation et sa généralisation dans tous les restaurants de type casse-croûte, un met associé à l'identité québécoise.

Description de la forme d'expression


La poutine est un met populaire consommé par une large partie de la population québécoise, car elle est facile à préparer et peu chère. Dans le domaine de la restauration, elle est surtout vendue dans les casse-croûte et les établissements de restauration rapide. Elle se déguste à tout moment de l’année. Sa recette est simple : sur des frites est déposé du fromage "en crotte", sorte de fromage cheddar frais caractérisé par sa texture caoutchouteuse, et de la "sauce brune". Les frites et la sauce chaudes font fondre le fromage, ce qui donne la texture recherchée en bouche.

Tous s’entendent pour dire qu’une bonne poutine doit être faite avec des frites fraiches. De plus, celles-ci doivent être coupées épaisses afin d’être tendres sous la dent. En ce qui concerne le fromage, certains le préfèrent râpé alors que d’autres aiment mieux l’original fromage en grain. Une seule chose importe : le fromage doit être frais et ne pas avoir été mis au réfrigérateur, du moins il doit être tempéré avant d’être incorporé au mélange. Alors que la sauce « brune » est traditionnelle, on aromatise aujourd’hui la poutine grâce à plusieurs autres types de sauces telle que barbecue, hot-chicken, sauce tomates et viande, sauce tomate, sauce Alfredo, etc. Toute sauce peut être adaptée à la poutine en fonction des goûts de celui qui la déguste. Chaque cuisinier peut lui même adapter la recette à ses propres goûts, car plusieurs variantes de la recette se développent. La poutine est donc un met qui se réinvente continuellement au goût du jour. Même si la poutine est reconnue pour être un exemple parfait de malbouffe, il n’est rare de voir des chefs modernes réinventer la poutine et présenter un chef-d’œuvre gastronomique dans leur menu.

Le restaurant Le Roy Jucep possède une histoire bien particulière : le propriétaire et fondateur, Jean-Paul Roy, possédait un restaurant de type casse-croûte nommé « Le roi de la patate » sur la rue Lindsay, dans le centre-ville de Drummondville. C’est à cet endroit, vers 1955, que la poutine aurait été inventée. On la servait à l’époque avec le fromage dessous. À la suite de plaintes multiples des clients qui croyaient qu’on ne leur donnait pas assez de fromage, l’ordre fut inversé. En 1956, monsieur Roy a acheté le bar laitier « Jucep » situé sur le boulevard Saint-Joseph. Le restaurant s’établit donc à son emplacement actuel mais ce dernier n’était alors ouvert que durant la saison estivale. L’une des principales caractéristiques qui démarquait Jean-Paul Roy de ses compétiteurs était sa recette de sauce spéciale. Il avait développé celle-ci à l’âge de 16 ans, alors qu’il travaillait dans un hôtel de Montréal. Avec ses collègues cuisinier, il avait développé une sauce qui était assez épaisse pour pouvoir adhérer parfaitement à une patate frite. Bien entendu, la recette est secrète et il n’est pas question de la divulguer ni de la commercialiser. Depuis les années 1950, on cuisine la sauce sur place dans de grands chaudrons pouvant contenir 40 gallons de liquide. L’été, pour fournir à la demande, on peut produire jusqu’à deux chaudronnées par jours.

Peu à peu, la poutine s’est frayée un chemin à travers la province de Québec. La popularité grandissante des cantines mobiles se promenant dans les différentes régions de la province n’y est pas étrangère. La compétition qui régnait entre les différents casse-croûte aurait également permis d’étendre la popularité du met. On retrouve d’ailleurs les premières poutines à Québec au début des années 1970, dans les restaurants Ashton. Le restaurant « Jucep » était quant à lui populaire auprès de la population drummondvilloise grâce à son service à l’auto, le premier au Québec. En 1987, Jean-Paul Roy est obligé de vendre pour des raisons de santé et Daniel Leblanc en fait l’acquisition. Selon lui, le secret d’une bonne poutine réside dans la fraîcheur des ingrédients incorporés. Encore aujourd’hui, il est possible de déguster l’authentique poutine de Jean-Paul Roy dans l’atmosphère des années 1950. Malgré les importants travaux de rénovations effectués depuis l’achat du restaurant par Daniel Leblanc, le décor rétro de cette époque est conservé. De plus, au moins 50% du chiffre d’affaire du restaurant est assuré par la vente de poutine. Plus d’une quinzaine de sortes différentes de poutines sont inscrites au menu et il est également possible d'y faire des poutines sur mesure, aux goûts des clients.

Le festival de la poutine a été inauguré il y a quelques années à Drummodnville afin de mettre en valeur ce patrimoine. Par la même occasion, on cherche à revendiquer l'appartenance du met.

Apprentissage et transmission


La poutine est un met aujourd’hui connu et reconnu partout au Québec, et de plus en plus au pays et dans le monde. Sa recette simple permet à tous d'en faire à la maison. Dans les foyers québécois, on la transmet de génération en génération par observation, par essai/erreur ou par une leçon de cuisine, bref comme toute autre recette. De plus, chaque mangeur peut adapter la recette à ses propres goûts ce qui fait de la poutine un met aux capacités d’adaptabilité infinie. Au restaurant « Le Roy Jucep », les nouveaux employés qui travaillent en cuisine apprennent la recette de sauce avec les anciens employés, afin de pouvoir en produire eux aussi.

Historique général


La poutine est reconnue internationalement pour être un met d’invention québécoise. L’histoire entourant son invention est cependant beaucoup moins claire et surtout très mitigée. Encore aujourd’hui, une très forte rivalité se fait sentir entre deux localités se disputant le titre de ville d’origine du met, soit Warwick et Drummondville. Chacune des deux municipalités possède un discours tout de même assez semblable quant à l’histoire de la poutine, ce qui rend difficile le défi de résoudre la question.

Warwick est une petite ville très réputée pour la production de fromage et ce, à la grandeur de la province. Le fromage en grain qui est produit à la fromagerie du village est, aujourd’hui tout comme à l’époque, très apprécié des gens des environs. L’histoire de la poutine à Warwick commence par un bel après-midi d’automne 1957. Fernand Lachance était à l’époque propriétaire du restaurant casse-croûte nommé Café Idéal. Eddy Lainesse, un camionneur, était un client régulier de l’endroit. Lors d’une de ses visites, il commanda une frite sauce ainsi qu’un paquet de fromage en grain frais. À l’époque, les produits étaient vendus séparément. Le fromage était servi dans une petite boîte de carton, tout comme les frites, et la sauce dans un petit contenant imperméable. Cette journée là, Eddy Lainesse avait le goût de faire changement et il demande au cuisinier, Fernand Lachance, de mélanger le tout ensemble. Il prend les frites, le fromage et la sauce, puis mélange le tout en secouant les ingrédients dans un sac de papier ciré. Voyant les frites imbibées de sauce et le fromage fondu, Fernand Lachance s’écria « Mais qu’elle sorte de poutine es-tu en train de te faire là ? ». Selon cette histoire, le mot poutine désignait donc un mélange étrange, voir même peut « ragoûtant ». À Plessisville, plus à l’est dans l’ancienne région des Bois-Francs, il est possible de récolter des témoignages rapportant l’utilisation du terme « mix » pour désigner le met à l’époque. L’explication la plus probable à l’attribution du nom serait que celui-ci proviendrait d’un dérivé du mot anglais pudding, qui désigne un dessert fait d’un mélange de toutes sortes de choses. L’origine du mot poutine est donc, tout autant que l’invention de celle-ci, un débat loin d’être réglé.

De l’autre côté, un restaurant de Drummondville possède les droits de marque de commerce sur le terme de « l’inventeur de la poutine ». Il s’agit du restaurant Le Roy Jucep, propriété de Daniel Leblanc. Une copie du certificat décerné par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada y est disponible. L’histoire de la poutine à Drummondville commence elle aussi en 1956-1957, avec Jean-Paul Roy. À cette époque, l’ensemble du met était servis séparément, dans des contenants distincts. Celui-ci était d’ailleurs nommé par le restaurateur un « frite-sauce-fromage ». Le met était ainsi servi durant une quinzaine d’années avant d’être officiellement baptisé. En 1964, devant la popularité grandissante du met auprès de la clientèle, l’utilisation d’un terme distinctif s’avère nécessaire. On devait trouver un nom à cet amalgame de frites, de fromage et de sauce. Il pourrait aussi s’agir d’une blague concernant le surnom du cuisinier de l’époque, surnommé Ti-Pout. Les clients aimaient bien lancer dans le restaurant « Envoye Ti-Pout, fait nous-là ta poutine !». Avec les années, et grâce à l’aide des touristes de passage dans la région, la poutine s’est frayée un chemin dans les assiettes des Québécois et des autres peuples du monde.

Plusieurs similitudes se retrouvent dans les récits de Warwick et Drummondville. Malheureusement pour nous, les créateurs de la poutine sont aujourd’hui décédés ce qui nous empêchera probablement à jamais de déterminer officiellement d’où provient le met tant réputé. Une chose est cependant incontestable : la poutine est bel et bien un met provenant du Centre-du-Québec !

Localisation complémentaire

  • Adresse civique : 1050 boul. St-Joseph
  • Ville : Drummondville
  • Code postal : J2C 2C6
  • Téléphone : 819-478-4848
  • Site web : http://www.linventeurdelapoutine.com/

Documentation

TU THAN HA , The men who cooked up a classic, The Globe and Mail, édition du 9 octobre 1997, page A2

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Mathieu Allard et Jocelyn Gadbois
  • Date d'entrevue : 2010-06-08
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Mathieu Allard

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