Depuis cinq générations, les femmes de la famille de Thérèse Telesh Bégin pratiquent le mordillage d’écorce. Cette pratique ancestrale innue consiste à réaliser des pochoirs sur feuille d'écorce de bouleau, inspirant par la suite les différentes formes de décoration d'objets traditionnels. Depuis plusieurs siècles, les femmes des communautés innues se réunissent pour tailler des œuvres d’art avec leurs dents.
Le mordillage d’écorces est un art traditionnel innu qui consiste à plier plusieurs fois une écorce pour ensuite la mordiller de façon à créer un motif. Lorsqu’on la déplie, le motif de l'écorce se présente de façon symétrique et originale. Ces motifs peuvent alors servir de modèle pour la broderie ou toute autre forme de décoration sur des vêtements ou des objets. Thérèse Telesh Bégin se présente comme une mordilleuse d’écorce de bouleau. Les Algonquins avaient donné à cet art le nom mizi’ nikatowa qui signifie littéralement "mordillage d’images". La mordilleuse effectue des petites mordées dans l’écorce, qu’elle a, au préalable, pliée quatre fois. Lorsqu’elle mord l’écorce, elle fait bouger ses mains très légèrement pour former le motif. Au final, un dessin se dégage des morsures qui ont été faites dans l’écorce. En moyenne, une dizaine d’étapes sont nécessaires pour réaliser ces œuvres d’art. Il faut d’abord récolter le bois et éplucher de fines couches d’écorce qui deviendront aussi fines que du papier de soie. L’écorce doit être choisie avec soin entre la fin du printemps et le début de l'été. Cette période est souvent très courte, soit une seule semaine par année, alors que plusieurs jours pluvieux se succèdent sans qu’il n’y ait une journée entière fortement ensoleillée. Une mince couche d’écorce est alors prélevée et si elle ne se recolle pas, la mordilleuse pourra collecter l’écorce du bouleau. Une fois prélevée, l'écorce se conserve ainsi plusieurs années. L’art du mordillage d’écorce de bouleau est pratiqué, par les femmes des communautés innues, comme passe-temps. Avant, elles se réunissaient autour du feu le soir et confectionnaient des dessins plus ou moins complexes pour décorer les vêtements ou pour servir comme gabarit pour la décoration des paniers. La technique nécessite une certaine modération dans sa pratique afin d'éviter des maux de tête et de dent. Ceci explique en partie les quinze années dont l’artisane a eu besoin pour réaliser un projet d’exposition. Au cours de l’été 2003, elle a présenté pas moins de 90 pièces de mordillage d’écorces au Musée des Amérindiens de Mashteuiatsh. Puis, pendant une année complète, elle a exposé ses oeuvres au Biodôme de Montréal. Elle espère bientôt présenter sa collection aux États-Unis. À Washington, un musée possède une pierre qu’elle a décorée avec une technique du pochoir traditionnel découlant du mordillage d’écorce. Tout en poursuivant la pratique de cet art traditionnel, elle a également participé à un tournage réalisé par l’Université du Québec à Chicoutimi, ainsi qu'à l’élaboration d’un cours sur le design. Elle fait parfois des démonstrations dans les écoles ou les pow-wow.
La pratique du mordillage requiert une très grande rigueur et une concentration sans faille. Une bonne dentition est également un facteur important dans la conception des motifs. C’est pour ces raisons que l’activité du mordillage n’est pas enseignée avant que les enfants aient atteint une dizaine d’années, lorsque la dentition est assez solide. Ce ne fût pas le cas de Thérèse Telesh, qui a appris cette technique alors qu’elle n’avait que six ans. Lors d’un séjour en forêt, le mauvais temps retenait la famille depuis plusieurs jours et les vivre commençaient à manquer. Pour calmer l’inquiétude de Thérèse Telesh qui voyait son père partir en canot sur les eaux agitées, sa mère a décidé de lui enseigner le mordillage d’écorce. Comme on le voit souvent dans la tradition montagnaise, ce sont des motifs floraux que Thérèse Telesh a confectionnés et brodés sur les mitaines de son père. Celui-ci a été agréablement surpris à son retour. Depuis cinq générations, les femmes de la famille réalisent des motifs de style montagnais pour décorer les vêtements ou orner les vases et les pots. Depuis ce temps, Thérèse Telesh Bégin n’a jamais cessé de pratiquer le mordillage d’écorce.
Thérèse Telesh a transmis son savoir à ses trois enfants, suivant une tradition qui remonte à cinq générations dans sa famille. Elle ignore cependant s’ils pratiqueront réellement l’activité. Par contre, elle dit avoir plus de succès dans l’enseignement du mordillage d’écorce avec ses petits-enfants. Elle pense que la transmission des coutumes et de la culture autochtone est primordiale. C’est pourquoi après son parcours scolaire qui l’a amené à faire des études à l’Université du Québec de Chicoutimi, Thérèse Telesh est retournée dans sa communauté pour mettre en valeur et ranimer les pratiques culturelles de son patrimoine. Malgré son parcours à l’Université, elle affirme que le meilleur enseignement qu’elle a reçu lui a été donné par sa mère et sa grand-mère. Pour Thérèse Telesh Bégin, le mordillage de l’écorce représente une sorte de spiritualité qui est importante de découvrir. Pour elle, la spiritualité, c’est l’enseignement sur le sens de la vie, légué par ses parents.
Thérèse Telesh Bégin est née le 11 juin 1950 à Mastheuiatsh, mais a grandi dans le parc de Chibougamau, le territoire de chasse de son père. Elle est née au sein d’une famille innue catholique et porte un nom amérindien, Telesh, qui ressemble de près à son nom de baptême, Thérèse. À cette époque, on choisissait d’abord un nom amérindien avant de donner un nom de baptême francophone. Le mot Telesh fait référence à sa curiosité, et elle affirme que cela l'a influencé tout au long de sa vie. Plusieurs membres de sa famille, dont ses frères, sa mère et son père, étaient artisans, ce qui a été un milieu propice pour s'introduire elle aussi aux travaux manuels.
Le mordillage d’écorce est un art qui remonterait au début du XVIe siècle. Les femmes innues ont été inspirées par la fabrication des canots d’écorce. Elles ont réalisé qu’elles pouvaient utiliser l’écorce percée de leurs dents comme pochoir et décorer le cuir. Le mordillage était surtout utilisé, au début, comme pochoir. À l’époque, les motifs servaient d’expérimentations pour des motifs qui allaient être brodés, ou encore dessinés ou ornés de perles. Les pochoirs, une fois utilisés, étaient jetés. Les femmes, lors de la décoration des vêtements, utilisaient quatre types de pigments qui représentaient les quatre nations. Avec le temps, les pochoirs sont devenus des œuvres d’art à part entière. Les motifs réalisés par mordillage furent conservés et les techniques transmises de génération en génération par les mères et grands-mères à leurs filles.
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