François Rothan fabrique des canots d’écorce amérindiens et des maquettes de ces embarcations. Autodidacte, il a acquis les connaissances nécessaires à l’exercice de cette pratique par des recherches documentaires et l’expérience. Il met en pratique les techniques ancestrales des amérindiens, soit l’utilisation du couteau croche et des matériaux naturels, comme le cèdre, l’érable, l’écorce de bouleau, des racines et de la gomme d’épinette. François Rothan contribue à la réactualisation de cette pratique traditionnelle depuis 1999.
François Rothan, de Laterrière, confectionne des canots amérindiens en écorce de bouleau, principalement ceux de traditions malécite et algonquine. Il confectionne des canots de taille réelle, conçus pour une utilisation en lacs et en rivières, ainsi que des maquettes fidèles de canots à l'échelle 1:3. La technique de fabrication demeure sensiblement la même pour les différents modèles, seules les formes changent. Toutes proportions gardées, il y a autant de travail dans la réalisation des petits que des grands canots. La confection minutieuse d'un canot nécessite plusieurs jours de travail et de nombreuses opérations. Dans un premier temps, il étale la feuille d'écorce sur la longueur en la déroulant sur le sol et y installe la forme plate du canot (les plats-bords) et les traverses en érable qui sont fabriqués à l'avance en fonction du type de canot visé. Il met du poids sur l'installation pour en assurer la solidité. Dans un deuxième temps, l'artisan fait des entailles dans l'écorce de l'extérieur jusqu'au cadre du canot et remonte les bords de la feuille d'écorce à 90° en prenant soins de bloquer la structure avec des piquets ou des clous, question d'éviter à l'écorce de reprendre sa forme initiale. Il enlève les pierres qui servaient de poids et remonte la forme à une certaine distance, soit de 8 pouces de hauteur au milieu du canot, de 9 pouces vers les extrémités et de 12 pouces aux deux extrémités. Ensuite, François Rothan réunit les plats-bords extérieurs de façon à coincer l'écorce. Sous chaque couture, des chevilles de bois sont utilisées pour solidifier l'ensemble. À tous les intervalles de deux pouces, il pratique une couture au moyen de racines d'épinette récoltées, bouillies, écorcées et fendues pour faire des coutures solides. La racine doit être humide pour éviter de craquer. En séchant, elle va serrer les pièces qui sont reliées.Le fonctionnement est le même avec l'écorce, qui doit être mouillée pour être travaillée.
L'artisan s'affaire ensuite à la taille du bordage longitudinal et des varangues latérales (pièces courbées formant l'armature à l'intérieur du canot) dans le cèdre, un bois léger, facile à manier et imputrescible. Cette essence de bois se courbe et se divise facilement dans le sens du grain. Il s'agit d'une étape complexe et demandant une grande précision car les pièces se placent au même moment, en utilisant le marteau pour cogner. Les deux pointes de chaque varangue glissent en-dessous du bordage de manière à tendre suffisamment l'écorce du canot en son entier et lui donner une certaine rigidité. Durant cette étape, l'artisan asperge l'écorce d'eau chaude pour qu'elle soit extensible. Comme il s'agit d'une forte tension, il importe de travailler avec une écorce de la plus haute qualité, d'une épaisseur d’au moins 1/8 de pouce et qui ne se dédouble pas en plusieurs couches. Une écorce de moindre qualité pourrait fendre facilement durant le processus. Enfin, François Rothan place une pièce de cèdre taillée entre les deux écorces à chacune des extrémités et fait une couture avec la racine d'épinette. Toutes les coutures, les entailles et les bouts du canot sont recouverts de gomme d'épinette pour assurer l'étanchéité de l'embarcation. Selon les commandes, il peut créer des motifs (ex.: dessins d'animaux) sur le canot. Pour se faire, il doit employer de l'écorce d'hiver (récoltée en mai) qui possède encore une membrane brune au lieu de l'écorce d'été dorée (récoltée en juillet-août) qui a perdu cette couche protectrice naturelle. Il mouille l'écorce et à l'aide d'une petite lame, il gratte cette membrane pour laisser paraître les contrastes et les formes. La conception des motifs est une étape très longue de la finition du canot.
Ce n’est qu’après avoir récolté une feuille d'écorce de bouleau assez grande et épaisse ainsi que les autres produits comme le cèdre, les racines et la gomme d'épinette, François Rothan entame son canot. Il utilise parfois de l'écorce de bouleau du Saguenay, mais celle-ci est d'une qualité inférieure et donne des pièces plus petites. Il s'approvisionne en écorce surtout au Nouveau-Brunswick, là où les arbres sont plus hauts et donnent une écorce d'une plus grande dimension et d'une meilleure qualité. Récolter l'écorce de bouleau n'est pas une tâche facile. D'abord, il faut trouver en forêt un arbre droit, exempt de défaut et procéder à la vérification initiale de son écorce. Si celle-ci s'avère d'une bonne épaisseur et d'une excellente qualité, François Rothan peut soit faire tomber l'arbre et le dégager du sol pour découper et soulever la feuille d'écorce (à l'aide d'outils plats et arrondis) ou encore grimper dans l'arbre, faire une entaille au couteau et enlever manuellement l'écorce autour de l'arbre. Dans les deux cas, il faut procéder avec minutie pour éviter d'endomager cette précieuse ressource. Une fois l'arbre écorcé, l'artisan roule l'écorce comme un tapis, l'attache et la transporte sur son dos pour sortir du bois. Le cèdre est prélevé à différents endroits (dans la région ou ailleurs) et les racines d'épinette, tout comme la gomme de ce conifère, proviennent principalement du Saguenay. François Rothan travaille principalement dans son atelier situé tout prêt de sa maison à Laterrière. Il s'agit d'un garage isolé assez grand pour contenir un canot, les matériaux, l'outillage et tous son équipement. Les canots de taille réelle et les maquettes sont connus de bouche à oreille par des particuliers et vendus sur commande, surtout aux États-Unis.
Possédant un vif intérêt pour l'artisanat amérindien et de très bonnes habiletés manuelles, François Rothan s'est documenté dans les meilleurs ouvrages scientifiques disponibles concernant l'histoire, la conception et les différents modèles de canots d'écorce amérindiens en Amérique du Nord. Cela constitue sa base théorique. Pour ce qui est du côté pratique, François Rothan a toujours fonctionné seul, de façon autodidacte, en apprenant de ses essais et erreurs. La réalisation de son premier canot (toutes les étapes) en 1999 a constituée une excellente école d'apprentissage pour l'artisan. Avec le temps et la pratique, il ne cesse d'apprendre et de perfectionner ce savoir-faire très rare aujourd'hui. François Rothan a déjà montré à un ami (Jean-François Gravel) intéressé par cette pratique toutes les étapes de fabrication d'un canot en écorce. Ils ont réalisé ensemble un canot en entier.
La pratique de la confection de canots d'écorce remonte à plusieurs siècles. Les canots étaient fabriqués avec les ressources trouvées dans l'environnement immédiat des nations autochtones et constituaient la meilleure façon de se déplacer et de portager. À leur tour, les Européens se sont inspirés de ce moyen de transport léger, résistant et efficace pour la fabrication des grands canots de voyageurs, les rabaskas. Avec le temps et la modernisation des technologies, les canots d'écorce ont été remplacés par des canots en différents matériaux dont le métal et la fibre de verre. Ce savoir-faire très ancien s'est graduellement perdu et sans l'effort de certaines personnes comme l'ethnologue Edwin Tappan Adney (1868-1950), la méthode de fabrication serait pratiquement disparue et très peu documentée. Les artisans qui fabriquent de véritables canots d'écorce sont aujourd'hui très rares. François Rothan, âgé de 38 ans, originaire d'Alsace, est arrivé au Québec en 1991. Il habite Laterrière depuis 1996 avec sa femme. Il est professeur d'anglais dans une école de cette localité. François Rothan a toujours été fasciné par les Premières nations, leur production matérielle et leur capacité de s'adapter à la nature avec autant de savoir-faire et d'ingéniosité. Pour lui, le canot est une image forte de l'adaptation de l'homme à son environnement avec des matériaux disponibles sur place. Son intérêt pour la chose s'est beaucoup développé au Québec, avec ses études en histoire et ses recherches personnelles. Adepte du canot comme loisir, c'est en entendant parler d'un professeur d'université qui en avait construit un qu'il a décidé de se lancer dans cette aventure.
Après s'être considérablement documenté avec les meilleures études en la matière, il a décidé de relever le défi de transférer ses connaissances à la pratique. C'est avec détermination qu'il réussit à produire son premier canot en 1999. Depuis lors, il a perfectionné son savoir-faire en réalisant une vingtaine de canots, de la taille réelle à la maquette. Un de ses premiers canots, confectionné au couteau croche, a été acheté par le site de la Nouvelle-France à St-Félix-d'Otis au Saguenay afin de pouvoir montrer un exemplaire de ce type d'embarcation traditionnelle aux visiteurs. Il adore confectionner des canots d'écorce, mais n'aimerait pas en faire une activité de production trop commerciale. Faire ce voyage dans le temps en refaisant les mêmes gestes que ceux pratiqués par les anciens amérindiens est une grande source de motivation pour lui. François Rothan s'était donné comme défi de faire un canot uniquement à l'aide du couteau croche qu'il avait lui-même fabriqué, à l'image des amérindiens qui utilisaient et utilisent encore cet outil. Le défi a été relevé car il a fabriqué deux canots au couteau croche. Depuis ce temps, il utilise, en plus du couteau croche pour tailler certaines pièces, un outillage moderne et disponible aujourd'hui (marteau, scie, sableuse, etc.). Il indique qu'aucune colle et aucun clous n'entrent dans la fabrication de ses canots d'écorce, à l'image des canots traditionnels. Ses canots sont durables et parfaitement adaptés pour glisser sur l'eau en offrant le moins de résistance possible.
Adney, Edwin Tappan et Howard I. Chapelle. 1964. The bark canoes and skin boats of North America. Washington, Smithsonian Institution, 242p.
Gosselin, Bernard. César et son Canot d'écorce, film documentaire, Office national du film du Canada, 1971, 57 min, son, sans parole, couleurs.
La réalisation de l’Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.