Pêche blanche sur le Saguenay

Denis Lavoie et Rémi Aubin

Denis Lavoie est pourvoyeur et Rémi Aubin, gérant d'un commerce d'articles de pêche.

Forme d'expression

Intérêt patrimonial

La pratique de la pêche blanche au Saguenay remonte aux années 1950. Elle se transmet d'une génération à l'autre au sein des familles saguenayenne. La pêche blanche est le lieu de rassemblements sociaux entre les Saguenayens. Activité de plus en plus populaire, on compte de nos jours des centaines cabanes de pêcheurs, alors qu'auparavant il y en avait une vingtaine. Des lois et des quotas sont mis en places afin d'encadrer la pratique et d'en assurer la pérennité.

Description de la forme d'expression


La pêche blanche sur le Saguenay est une pratique très fortement ancrée auprès des populations locales, entre autre pour ses aspects social et ludique. Durant les longs mois d’hiver, des centaines de cabanes se regroupent à des endroits bien précis sur les glaces afin de former de petits villages temporaires. Étonnamment, la pêche est loin d’être la principale activité sur le site. Des comités sont formés tout au long de l’année afin de planifier une programmation de loisirs pour les pêcheurs. On retrouve ainsi un concours de sculptures sur neige, des tournois de hockey amateur et un carnaval. De l’équipement sportif est également disponible pour location. Toute la population participe aux activités. La saison de pêche locale, qui s’étend de la mi-janvier à la mi-mars, est également accompagnée du plus grand concours de pêche blanche en Amérique du Nord. La majorité des gens qui possèdent des cabanes sur les glaces de la Baie des Ha! Ha! proviennent de la ville de Saguenay, mais il y a aussi plusieurs personnes provenant des régions avoisinantes. On retrouve donc des gens du Lac-Saint-Jean, de Charlevoix et de la région de Québec. Les pêcheurs ont souvent tendance à regrouper leurs cabanes en fonction du lieu de provenance de leurs voisins, formant ainsi des quartiers bien distincts. Certains vont même dormir à même la cabane durant tout un weekend. La pêche est avant tout une activité sociale, c’est-à-dire que les gens vont sur les glaces pour profiter de la vie de groupe que le village temporaire procure. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir une cabane où se regroupent des personnes n'étant pas pêcheurs. Cette situation s’explique peut-être également par le fait que cette pêche requiert des techniques et un équipement spécifique à cette région. Les grandes profondeurs et la salinité de l’eau sont des conditions que les équipements de pêche conventionnels ne peuvent supporter. En effet, les pêcheurs doivent entre autres utiliser une ligne à pêche faite de mono filament afin d’empêcher l’étirement lors de la remontée. Il en va de même pour les cannes à pêche et les moulinets spécialement conçus qui sont incontournables, mais également plus dispendieux que les équipements standards. Les leurres sont eux aussi adaptés à la pêche en eau profonde et salée. En effet, ils sont presque tous phosphorescents et sont faits d’acier inoxydable afin d’éviter la corrosion créée par la salinité de l’eau. Tous ces articles ne seraient cependant pas très efficaces sans les différentes techniques appliquées par les pêcheurs. Il est possible d’installer plusieurs hameçons sur une même ligne, distancés à tous les 25 pieds et ce sur environ 200 pieds de longueur. Cette technique est appelée « ligne en palier » et elle offre plus de possibilités de prises étant donné la grande distance qu’elle couvre. Il faut aussi exciter le poisson afin de le faire mordre. Le pêcheur effectue donc de petits mouvements de va-et-vient rapide sur sa canne à pêche. Cette action est appelée la « jig ». Pour ceux qui pêchent en eau peu profonde, pour l’éperlan par exemple, l’installation d’une lampe au dessus du trou risque d’augmenter grandement les chances d’obtenir des prises. Cependant, la luminosité n’a aucun effet sur la pêche en eau profonde. Cette technique de pêche est également élaborée en raison de la très grande diversité des espèces que l’on retrouve dans les eaux salées et saumâtres du Saguenay. Parmi celles-ci, nous comptons la morue (franche et ogac), le flétan de l’Atlantique, l’anguille de roche, le turbot, le merluche écureuil et, plus rarement, des raies. La plus populaire auprès des pêcheurs est sans aucun doute le sébaste. Ce poisson se caractérise par sa couleur rouge et ses yeux exorbités. Les retombées économiques de cette activité sont également très importantes auprès des commerçants locaux. Les retombées annuelles de quelques millions de dollars sont une source de revenus vitale pour les commerçants aux environs du village durant la période hivernale, considérée comme une saison morte pour plusieurs. La présence de nombreuses entreprises reliées à la pêche blanche que les environs, tels que les pourvoiries ou les magasins d’articles de pêche, en sont des preuves.


Apprentissage et transmission


Les techniques de pêche sont transmises de génération en génération. Tous les pêcheurs rencontrés provenaient de la ville de Saguenay. Ils ont appris les techniques de pêche de leurs proches parents. De plus, la plupart d’entre eux avaient également déjà initié plusieurs autres personnes dont leurs enfants à la pratique. Lors de la transmission à de jeunes enfants, les premières expériences de pêche se font rarement au large. Les enfants n’ont pas la force de rouler des lignes qui peuvent atteindre 300 pieds de longueur. On initie plutôt les jeunes avec la pêche à l’éperlan, qui s’effectue aux abords de la rive et qui est relativement facile. Une fois les jeunes en confiance, la pêche aux poissons de fonds peut enfin commencer. Cette pêche est beaucoup plus appréciée, car elle procure plus de sensation au pêcheur étant donné les conditions et la vivacité des prises.

Historique général


La pêche blanche sur le Saguenay et plus particulièrement sur les glaces de la Baie des Ha! Ha! a commencée vers la fin des années 1950. L’eau à la surface est saumâtre et contient des espèces plutôt connues de tous comme l’éperlan, la truite de mer, l’anguille d’Amérique ou le poulamon atlantique. Peu de gens connaissaient l’existence de la morue et du sébaste dans le Saguenay. On pêchait en pensant capturer les mêmes prises qu’en été, dont la fameuse truite de mer. Ce serait en se rendant plus au large et en s’installant au milieu du fjord pour pêcher en profondeur que les pêcheurs ont recueilli des espèces qui leur étaient inconnues. Ces prises font aujourd’hui la réputation de ce secteur. À cette époque, les pêcheurs restaient en permanence à l’extérieur et ils installaient des brimbales au dessus de chaque trou. Les brimbales sont faites de deux planches de bois, dont l’une, à laquelle est attachée la ligne à pêche. Lorsqu’un poisson mord celle-ci, il tire sur la corde ce qui fait descendre la partie amovible de la brimbale et signale la prise au pêcheur. Progressivement, les pêcheurs ont commencé à installer des cabanes temporaires afin de se protéger du froid. Les cabanes étaient faites de carton et de toile de plastique. À la fin de chaque saison, les cabanes étaient brulées et on en reconstruisait de nouvelles l’hiver suivant. Avec la popularité grandissante de la pratique, les cabanes se sont modernisées jusqu’à devenir aujourd’hui de véritables petits chalets sur glace. Les techniques de pêche ont également évolué. Contrairement à l’époque, la pêche s’effectue maintenant principalement à l’intérieur des cabanes avec des cannes à pêche. Les principales espèces pêchées étaient la morue et l’éperlan. Ce n’est que vers le milieu des années 1970 que des espèces comme le sébaste, aujourd’hui le plus populaire de toutes, ont fait leur apparition au bout de la ligne des pêcheurs. La pratique est de plus en plus populaire. On retrouve aujourd’hui environ 1400 cabanes sur la baie, comparativement à une vingtaine à l’époque. C’est d’ailleurs pourquoi la pêche est aujourd’hui très règlementée. Au début, la pêche était libre et aucun organisme ne la gérait. Toutes les espèces de poissons pouvaient être capturées et aucun quota de prises n’était imposé. En raison de la disponibilité de la ressource, la limite est de 5 poissons de fond, par personne et par jour, et de 120 éperlans.


Autre localisation

  • Quartier : Saint-Alexis de Grande-Baie
  • Arrondissement : La Baie

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Anne-Marie Royer et Mathieu Allard
  • Date d'entrevue : 2010-02-19
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Mathieu Allard

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