Alain Lamontagne, harmoniciste, s’accompagne avec ses pieds en produisant un rythme tout en étant assis. Cet art de jouer avec ses pieds se nomme la podorythmie. Très présente dans l’univers des arts traditionnels francophones, la podorythmie est un savoir-faire qui se transmet entre les participants de veillées ou de spectacles ou dans le cadre de cours. Ancrée dans l’histoire et la tradition, elle serait pratiquée depuis 200 ou 300 ans.
Alain Lamontagne, rencontré lors du Festival de contes et de légendes de l'Innucadie en 2007, est l'inventeur du terme « podorythmie ». Ayant constaté qu'aucun terme « technique » n'existait réellement, si ce n'est celui de « tapage de pieds », de « cognage de pieds » ou de « frappage de pieds ». On retrouve aussi les termes de « tapia » ou de « pas d’accord ». Ce dernier s'expliquerait, selon Alain Lamontagne, par le fait que c'est un pas rythmique d'accord ou, seconde explication, par le fait que les gens de Montréal ne sont pas d'accord que les gens du deuxième étage tapent du pied quand eux habitent au premier. Alain Lamontagne a ainsi initialement choisi de parler de « pédirythmie », en utilisant la racine latine pedis, mais ce terme entraînant certaines confusions, il a décidé d'opter pour la racine grecque podos et de parler donc de « podorythmie ». La podorythmie se définit comme un art de faire du rythme avec ses pieds sur une surface en étant assis. Il existe trois rythmes importants en podorythmie : un premier qui est du 2/4 ou du 4/4 auquel on peut rajouter des croches ou des trilles, un second qui est du 6/8 (talon pointe talon pointe) et un troisième qui correspond à la valse. Ces trois rythmes se subdivisent en milliers d'autres rythmes. Pour pratiquer la podorythmie, il faut apprendre à être indépendant de ses deux jambes. Comme l'image Alain Lamontagne, il faut apprendre « à courir assis ». Pour faire de la podorythmie, Alain Lamontagne utilise un équipement bien particulier qui comprend des chaussures solides, une planche en contre-plaquer et une chaise. Les sons qu'il produit en tapant du pied sur sa planche différent s'il tape du devant du pied (fréquences hautes), du talon du pied (basses fréquences) ou au milieu (moyennes fréquences). S'il pratique la podorythmie depuis son plus jeune âge, il a progressé et développé de nouvelles techniques au fil du temps. C'est en jouant de l'harmonica depuis l'âge de 13 ans qu'il s'est mis à faire des rythmes avec ses pieds, sans savoir initialement qu'il faisait de la podorythmie. En 1976, Alain Lamontagne débute sa carrière professionnelle d'harmoniciste et de podorythmiste. Il voyage à travers la francophonie et constate que la podorythmie est un art typique du Québec et de l'Acadie, principalement pratiqué par les francophones. Quelques années plus tard, il décide d'ajouter le conte à ses savoirs. A la fin de chaque morceau musical, le conte lui permet de reprendre son souffle. En combinant ces trois formes artistiques, il se forme une fusion où les mots vont à l'esprit, le rythme au corps et la musique au cœur et à l'âme ». Alain Lamontagne fait des représentations lors de festivals au Québec, au Canada et à travers le monde. Il se produit également dans des maisons de la culture et diverses salles de spectacle. Il réalise également des disques sur lesquels il joue de l'harmonica, fait de la podorythmie et parfois conte.
Pour faire de la podorythmie, Alain Lamontagne utilise uniquement des chaussures de marque Dack's shoes, réputées pour leur solidité. A la suite d'un accident sur la scène en 1981 lors d'une représentation en Belgique lors duquel la scène s'est ouverte en deux, Alain Lamontagne a décidé de fabriquer son propre plancher qu'il transporte avec lui lors de ses représentations. Il a alors construit un plancher en contre-plaquer balkan (ou russe) de cinq pieds sur cinq pieds comprenant douze couches de merisier. Cette dimension de plancher lui permet de respecter les normes des tapis d'aéroports lors de ses déplacements. Ce plancher a pour particularité de s'user par couche. Il use une couche tous les six mois. Le son qu'il produit sur la planche est amplifié par un microphone Seducer. Alain Lamontagne utilise également sa propre chaise qui est à bonne hauteur pour jouer et avec laquelle il trouve une position ergonomique qui lui convient. Derrière son plancher, il place une bande de bois afin que sa chaise ne glisse pas. Alain Lamontagne a également inventé avec Erik Johnstone, technicien en musique électronique à l'Université McGill, un plancher électronique M.I.D.I, de quatre pieds sur quatre pieds, constitué de 1440 petits carrés d'aluminium. Chaque carreau peut produire jusqu'à quatre sons, ce qui représente 5760 possibilités de programmation de sons. Alain Lamontagne possède enfin un autre plancher chez lui afin de pratiquer. Celui-ci est plus grand que celui utilisé lors de spectacle.
Alain Lamontagne apprend la podorythmie depuis l'âge de 13 ans et ce, jusqu'à aujourd'hui. Il raconte ses débuts à la podorythmie de la manière suivante : «L e 14 juillet 1959, pour ses sept ans, il rencontre un petit être merveilleux qui lui promet que s'il est capable d'apprendre deux savoirs avec ses pieds, deux rythmes avec ses pieds, il vivra jusqu'à 129 ans. Puis à cet âge, il est censé rencontrer l'éternité qui lui apprendra un troisième savoir ». La podorythmie lui est en fait venue naturellement alors qu'il apprenait à jouer de l'harmonica. Etant assis, il s'accompagnait avec ses pieds. Pour lui, jouer avec ses pieds, « c'était comme naturel », mais a constaté en rencontrant d'autres podorythmistes qu'il avait une réelle habileté à jouer avec ses pieds. Il est vrai que personne ne jouant de la podorythmie dans sa famille, il ne savait pas évaluer ses capacités.
Alain Lamontagne transmet son savoir lors des festivals et des spectacles auxquels ils participent. Il se rend disponible à la fin de ses représentations pour expliquer son savoir. Lors de ses déplacements à l'étranger, il a également été amené à transmettre son savoir et à faire connaître la podorythmie. Aujourd'hui, on retrouve des podorythmistes à l'étranger comme par exemple le groupe français « Mes souliers rouges ». Il donne également des cours à Montréal les mercredi soirs dans les locaux de la SPDTQ (Société pour la promotion de la danse traditionnelle du Québec) dont il est membre. Ses classes comprennent entre quatre et huit élèves. Alain Lamontagne pourrait également transmettre son savoir à ses deux fils, mais ces derniers ne sont pas intéressés à apprendre.
La podorythmie a souvent été associée à la gigue, alors même que la gigue est une danse et que la podorythmie est un instrument. Selon Alain Lamontagne, la podorythmie existe depuis 200 ou 300 ans. A cette époque, le violon était l’instrument roi. Le joueur de violon était alors installé sur une table pour jouer. Selon Alain Lamontagne, c'est à force de jouer assis que le musicien a développé une rythmique avec ses pieds. Il pense que seuls des musiciens bons danseurs étaient capables de taper du pieds tout en jouant du violon afin de garder le rythme des danseurs. Réussir à garder un rythme avec les deux pieds en étant assis est un art très technique. Voici donc l'explication historique qu'Alain Lamontagne donne à l'émergence de la podorythmie.
Né 14 juillet 1952, Alain Lamontagne a reçu à l'âge de sept ans un harmonica qui allait changer sa vie. A partir de 13 ans, il décide de pratiquer intensément cet instrument en écoutant des disques de la Bolduc, de Louis Blanchette et autres joueurs de musique traditionnelle ainsi que des disques de bluesmen américains. Il développe alors une technique de fusion entre le traditionnel et le blues. Tout en jouant de l'harmonica, Alain Lamontagne s'accompagne en tapant du pied. Cela devient complètement naturel. En même temps, à l'école polyvalente, Alain Lamontagne développe son goût pour l'organisation d'activités culturelles. Si cela lui sera reproché par l'établissement scolaire, il trouvera là une de ses vocations professionnelles. Il fonde alors avec d'autres jeunes tels que Gabriel Arcand, Julien Poulain, Marie Eckel et Laurent Rivard, le « Groupe de la Veillée » à Montréal, un atelier de recherche sur le travail de l'acteur. C'est alors le 18 mars 1976 qu'il débute sa carrière professionnelle en tant qu'artiste en signant un contrat pour jouer à la Guimbarde à Longueuil. Il enchaîne en 1977 en jouant au Patriote, lieu mythique à Montréal pour la chanson, et en faisant la première partie d'Edith Butler, véritable star à l'époque. Il trouve alors un agent et un producteur de disque ce qui lui permet en 1977 de sortir son premier disque « Musique-à-bouche ». Cet album sera suivi en 1982 par un nouvel album intitulé « Souffle » qui lui vaudra un Félix au Gala de l'ADISQ pour le meilleur disque instrumental. Deux autres disques sortiront en 1988 « Alieno » et en 1996 « De toute beauté ». Il jouera alors sur de nombreuses scènes provinciales, nationales et internationales. En tant qu'interprète et compositeur reconnu, Alain Lamontagne a co-écrit une méthode d'harmonica « l'harmonica sans professeur » afin de transmettre son art à un large public. Il a été invité à maintes reprises pour jouer sur scène avec, entre autres, Ginette Reno, Felix Leclerc, Gilles Vigneault et Plume Latraverse. En tant qu'artiste complet, il a également fait du théâtre, notamment dans trois pièces d'Antonine Maillet, du cinéma, notamment dans le premier film de Pierre Falardeau, et de la télévision. Il continue d'ailleurs à participer à des émissions de télévisions et radiophoniques. Alors qu'il se produisait sur scène en tant qu'harmoniciste et podorythmiste, Alain Lamontagne a décidé d'ajouter le conte à ses représentations. Entre chaque morceau, cela lui permettait de reprendre son souffle. En compagnie de Jocelyn Bérubé, il se dit précurseur du renouveau du conte au Québec. Alain Lamontagne se définit comme artiste ou plus précisément comme un musicien conteur. Il est référencé dans l'Encyclopédie musicale du Canada.
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